Changer de carrière et revenir à la terre à cinquante ans passés ? C’est le choix de Bentiba El Wardi qui est aujourd’hui producteur d’huiles essentielles. Malgré les difficultés administratives, il envisage d’agrandir son exploitation, car il est l’un des rares hommes de la région à détenir le savoir-faire.
Il est à peine 7h du matin, mais Bentiba El Wardi s’est habitué à être matinal. Dans le petit village de Rous El Ayoun, à 4 km d’El Kouif, cet homme de 59 ans prépare les commandes d’huile essentielles passées par ses clients. Ce jour-là, ce sera de l’huile de romarin pour un producteur de produits d’herboristerie. Bentiba El Wardi n’est producteur d’huile que depuis quelques années. Il y a 6 ans, lors d’un voyage en Tunisie, il apprend le métier auprès de l’un de ses amis. De l’autre côté de la frontière, les producteurs sont nombreux. Il envisage de distiller de l’huile de rose pour faire du parfum, mais il se ravise. Autour de chez lui, le romarin est abondant.
Il commence par équiper le terrain de sa maison avec des outils traditionnels. «Cette cuve de 1500 litres a été fabriquée chez un soudeur. Elle est surmontée d’un tuyau dans laquelle on place le romarin. La technique de distillation consiste à extraire l’essence par vapeur d’eau dans un grand chaudron. La cuve est chauffée et mise sous pression pour que la vapeur entraîne l’odeur du produit. En traversant le tuyau et en refroidissant, la vapeur se condense dans un autre récipient et l’on obtient de l’huile essentielle», explique-t-il. Cette distillation traditionnelle dure plus de 5 heures. Il n’obtient que 4 litres de liquide. La quantité est réduite de moitié pendant l’hiver : le végétal ne contient pas beaucoup d’eau sous l’effet du froid.
Diversification
Aidé de son fils aîné, Chams Eddine, 22 ans, qui est en vacances, il commence par relever les couvercles de son distillateur traditionnel avant de le remplir d’eau puis d’allumer le feu et de s’emparer des bottes de romarin, ramassées dans les montagnes avoisinantes. En 5 ans, Bentiba El Wardi a diversifié son activité et produit désormais de l’huile d’armoise, de menthe ou encore d’eucalyptus. «La production traditionnelle de l’huile essentielle reste encore méconnue en Algérie contrairement aux pays voisins où de simples artisans font de l’exportation. Mais surtout, ce sont les vertus de ces huiles que les Algériens connaissent mal», précise le quinquagénaire. Pour preuve, il est le seul producteur de la région et les commandes arrivent même de Tunisie. Il y a deux ans, le propriétaire tunisien d’une usine de parfumerie le contacte pour être alimenté en huile de romarin. L’herbe vient à manquer sur le territoire tunisien. «Mais avec les moyens du bord, je ne pouvais pas lui préparer sa commande de 500 litres, j’ai immédiatement renoncé!» Une jeune femme française avait le projet de lui passer régulièrement commande. Mais l’exportation est inenvisageable : trop complexe, trop de paperasse et d’autorisations à obtenir. «J’ai contacté l’ambassade algérienne de Tunisie pour m’aider à vendre mon produit de l’autre côté de la frontière, mais c’était difficile de le concrétiser», ajoute-t-il.
Apprentis
Les dispositifs d’emploi et les banques, Bentiba n’en connaît rien. Mais il espère malgré tout élargir son unité de production «Les prêts ? Je n’ai jamais fait la démarche. La procédure est longue et je manquais d’informations», raconte-t-il. Aujourd’hui, il est déterminé : «Je frapperai à toutes les portes. Avoir une aide de l’Etat est une opportunité incontournable.» Pour le moment, il gagne suffisamment d’argent pour vivre, mais étendre son exploitation lui permettrait d’engager une cinquantaine de jeunes au chômage. Depuis que son unité de production est opérationnelle, Bentiba n’a formé que quatre jeunes. Ces derniers ont fini par partir. Ils auraient préféré la contrebande. El Wardi se dit prêt à recommencer mais il est difficile de convaincre ces jeunes de venir apprendre un métier si traditionnel.
Projets
La bureaucratie des administrations n’arrange rien. «Les charges de la CNAST et la CASNOS pour prendre en charge ces apprentis sont trop importantes tant que je ne produis que 4 litres par jour, vendu à 3000 DA le litre. Surtout s’il faut déduire de tout ça les frais de transport et le salaire des moissonneurs.» Bentiba souhaite que son fils, à l’université pour un diplôme de sciences islamiques, prenne un jour le relais pour que le rêve vive. «Si je ne trouve pas d’autre travail d’ici là, oui, j’y songerai», sourit son fils. Les projets de développement sont nombreux. Bentiba El Wardi pense concevoir un distillateur amovible pour pouvoir se déplacer à travers les montagnes à la recherche d’autres plantes aromatiques et il envisage de décrocher une convention pour vendre son huile à des usines. «Il n’est jamais trop tard. Avec mon métier, je pourrai faire fortune», dit-il. Dans la ville d’El Kouif, les habitants sont admiratifs de ce vieux monsieur, de son retour aux traditions et de sa persévérance. On souligne même que «lui, au moins» n’a pas fait le choix de la contrebande.
le 13.12.13 El Watan Week-end
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