jeudi 2 avril 2015

Sur l'île de Svalbard, conservation de toutes les semences mondiales

Le projet de centraliser sur l'île de Svalbard la conservation de toutes les semences mondiales prend forme sans faire l'unanimité.

Du blé, du riz, du mil, de l'aubergine, du sorgho… Tout ce que l'on peut imaginer ou presque comme semences de cultures vivrières, se trouve aujourd'hui dans des banques de gènes, méthodiquement rangé. Dans les temps anciens, seules les fermes protégeaient précieusement les graines de la récolte, destinées éventuellement à être échangées avec celles des voisins et surtout, replantées l'année suivante. «La nécessité de conserver les ressources génétiques a pris toute son importance dans les années 1960 concomitamment à la révolution verte », raconte Jean-Louis Pham, responsable du projet Arcad (1) de conservation des semences méditerranéennes à Montpellier. Depuis, des organismes nationaux ou internationaux ont vu le jour, collectant ces graines dans le monde entier.

Aujourd'hui, au sommet de la pyramide, se trouve la réserve mondiale du Svalbard, sur l'île norvégienne de Spitzberg. Une chambre forte créée en 2008 par la Norvège, long tunnel de plus de 120 mètres qui s'enfonce dans la montagne, où les trésors de la biodiversité alimentaire mondiale sont conservés grâce au froid qui ne quitte jamais ces terres, à un petit millier de kilomètres du pôle Nord. Plus de 860.000 échantillons sont désormais entreposés dans la réserve mondiale de Svalbard, et tout récemment, un convoi a été débarqué avec des graines provenant aussi bien des montagnes Rocheuses américaines que du Bénin. Une nouvelle livraison avec notamment 27 espèces de tournesol, 14 de tomates sauvages ainsi que des carottes sauvages ou encore des citrouilles provenant de tribus indiennes. «La conservation des semences diffère de celle des denrées consommables par la nécessité primordiale de conserver intacte la faculté germinative des grains », rappelle la FAO. En 2001 un traité international sur les ressources génétiques pour l'alimentation et l'agriculture a été adopté sous l'égide de l'ONU, signé à ce jour par plus de 130 pays. Dans la foulée est né le GCDT (Global Crop Diversity Trust) pour financer la conservation de cette ressource. À sa tête la Norvégienne Marie Haga, qui se bat pour lever les 850 millions de dollars nécessaires à ce projet, à raison de 34 millions par an, tout en veillant sur son bébé: la réserve du Svalbard.

«L'agriculture aujourd'hui utilise très peu de variétés, les États-Unis ont ainsi perdu 90 % de leurs ressources tout comme la Chine a abandonné 90 % de ce qu'elle cultivait dans les années 1950»

Pour Marie Haga, la pertinence du combat ne se discute pas. «L'agriculture aujourd'hui utilise très peu de variétés assure-t-elle, les États-Unis ont ainsi perdu 90 % de leurs ressources tout comme la Chine, qui a abandonné aujourd'hui 90 % de ce qu'elle cultivait dans les années 1950», cite celle qui fut plusieurs fois ministre dans son pays. S'il existe de par le monde plus de 1700 banques génétiques, la qualité de conservation - faute de moyens la plupart du temps - est inégale. Avec le GDCT, «nous nous occupons de 11 grands centres internationaux qui abritent l'essentiel des semences les plus importantes», poursuit Marie Haga. Mais pour cette femme énergique la partie n'est pas encore gagnée: «L'ensemble des banques à travers le monde conserve quelque 7 millions d'échantillons et on considère qu'environ 2,3 millions sont uniques, dont 800.000 environ se trouvent répartis dans les onze centres.» Autant de graines qu'elle espère un jour voir entreposées au Svalbard. «Nous avons la place pour environ 4 millions d'échantillons» raconte-t-elle.

Marie Haga aime raconter l'histoire du centre qui dispose de l'un des plus importants patrimoines alimentaires: les semences de blé. «Est-il en danger?» s'interroge-t-elle, sachant que cette banque se trouve au cœur de la ville d'Alep en Syrie, en pleine guerre civile. Aujourd'hui, 70 % des graines de blé ont du coup été transférées dans le coffre-fort du Grand Nord. Elle aime aussi rappeler comment la conservation minutieuse des quelque 200.000 variétés de riz «permettra un jour peut-être de trouver celui qui dispose du meilleur gène pour résister au changement climatique. C'est aux Philippines que l'on a découvert le riz capable de faire face à une hausse de la salinité de l'eau».

«Le Svalbard, c'est la conservation en banque de gènes poussée à son paroxysme. » Jean-Louis Pham, responsable du projet Arcad

«Toutes les graines qui se trouvent au Svalbard appartiennent aux pays qui les y ont déposées et nous leur signalons quand ils doivent les récupérer pour les faire germer» et ainsi assurer la continuité, précise-t-elle. «La banque du Svalbard permet de faire face à de nombreux enjeux allant du changement climatique à la lutte contre les nouvelles maladies ou parasites ou encore la pression sur les terres agricoles…».

Cette banque toutefois n'est pas à l'abri de critiques. «Ce centre est un plus, c'est un étendard pour les ressources génétiques, mais, dans un monde où les financements sont de plus en plus difficiles à trouver, ce qui va là ne va pas ailleurs», souligne Jean-Louis Pham. Il évoque notamment les petites banques situées dans des pays en développement qui ont peu de moyens alors qu'elles sont essentielles pour la conservation des semences locales. «Ces pays ont besoin d'avoir leur propre ressource, poursuit le scientifique. Le Svalbard, c'est la conservation en banque de gènes poussée à son paroxysme.» Sans compter que les plantes cultivées résultent d'une évolution permanente multimillénaire et ce que l'on enferme dans une banque de gènes ne s'adapte plus à son environnement. «Il n'y a pas d'exclusive», répond Marie Haga, «je suis également favorable à la conservation dans les champs. Les biologistes n'ont pas toutes les réponses, mais nous non plus.»

(1) Arcad (Agropolis Resource Center for Crop Conservation, Adaptation and Diversity) projet dédié à l'évaluation et à une meilleure utilisation de la biodiversité des plantes cultivées dans les régions tropicales et méditerranéennes.

Marielle Court figaro Publié le 02/04/2015

Quelles épices choisir pour quels bienfaits alimentaires ?

Ingrédient de prédilection de la cuisine japonaise, indienne ou orientale, les épices manquent souvent dans la cuisine occidentale. Pourtant, en plus de rehausser le goût des plats, elles présentent de nombreuses vertus en matière de santé. Passage en revue des épices à conserver dans ses placards, avec nos trois expertes.

Les épices des quatre coins du monde ont toujours été prisées et ont, dès l'Antiquité, fait l'objet de nombreuses conquêtes. Utilisées pour conserver les aliments, puis pour les assaisonner, elles servaient aussi en parfumerie et en médecine.

Diététiquement parlant, les épices sont très intéressantes. En rehaussant le goût des plats, elles évitent de trop saler ou de trop sucrer, ce qui réduit le risque de maladies cardio-vasculaires. Leurs vertus antioxydantes préviennent aussi le vieillissement de l'organisme. Encore faut-il les choisir judicieusement et les varier. Et pour profiter de leurs bienfaits, mieux vaut opter pour le bio et les conserver au frais, à l'abri de la lumière. Avant que vous ne vous précipitiez dans votre magasin préféré, on fait le point sur les vertus des principales épices, avec nos trois experts : Sylvie Hampikian, experte en pharmacotoxicologie, Amandine Geers, auteure culinaire, et Paule Neyrat, diététicienne et auteure culinaire.

Originaire d'Inde, le curcuma est l'un des antioxydants les plus puissants. Il possède aussi des vertus anti-inflammatoires et favorise la digestion. Photo Getty Images Le curcuma, l'épice du quotidien

Originaire d'Inde, il est l'un des antioxydants les plus puissants. Il possède aussi des vertus anti-inflammatoires et favorise la digestion : « Il stimule la production de bile et active le travail du foie », informe Sylvie Hampikian (1). Comment le consommer ? « La poudre de curcuma s'oxyde plus rapidement. Préférez-le en rhizome (racine) et pilez-le dans un mortier », conseille Amandine Geers (2), auteure culinaire et cocréatrice de l'association What's for dinner, qui promeut la cuisine bio. Ajoutez le curcuma dans les marinades et les plats chauds. Comme pour toutes les épices, ne faites pas rissoler le curcuma dans une huile chaude, au risque de lui faire perdre ses propriétés. Pour un maximum de bienfaits, mélangez curcuma, romarin, ail et poivre noir. Utilisez le mélange quotidiennement dans votre cuisine.

La cannelle, contre les maux de ventre

La cannelle de Ceylan (Sri Lanka) est exportée dès la haute Antiquité vers le Bassin méditerranéen par des commerçants arabes. Sa saveur sucrée en fait une épice de choix pour les enfants. La cannelle soulage les problèmes de digestion ; elle est antispasmodique : « En Inde, on l'utilise pour soigner la turista. Grâce à son action dépurative, elle aide à éliminer les toxines et combat les parasites intestinaux. L'épice a également une action sédative et favorise l'endormissement », ajoute Sylvie Hampikian.

Comment la consommer ? Sa saveur sucrée parfume évidemment les desserts, comme le pain d'épices, mais aussi les viandes (3). Tentez un Makfoul par exemple, un tajine d'agneau au safran et à la cannelle. Pour bénéficier des bienfaits digestifs, associez-la au gingembre.

La cardamome, l'ultime tonifiant

Les Indiens l'appellent la « reine des épices ». La cardamome booste l'appétit, favorise la digestion en stimulant la sécrétion de salive et tonifie : « C'est un tonique nerveux qui donne un coup de fouet à l'organisme et permet de lutter contre la fatigue », explique Sylvie Hampikian. Comment la consommer ? Son goût est délicieux dans les desserts, les boissons chaudes (lait, café et chocolat) et même les plats salés à base de riz, de curry de légumes et dans le canard. « Utilisez-la en poudre en petite quantité car le goût est très fort », prévient la diététicienne Paule Neyrat (4).

Le gingembre, contre les nausées

Originaire d'Inde, l'épice est antispasmodique et renforce nos défenses immunitaires. Quant à ses vertus aphrodisiaques, ce n'est qu'un effet collatéral : « Il stimule la circulation sanguine dans les vaisseaux et donc au niveau des organes sexuels, indique Paule Neyrat. L'épice permet aussi de mieux assimiler les aliments. » Comment le consommer ? « Ajoutez des petits morceaux de gingembre confit dans une salade de fruits. Si vous l'épluchez ou si vous le hachez, ajoutez-le aux ragoûts, aux légumes sautés ou aux plats de poissons », conseille la diététicienne.

Le clou de girofle est analgésique, il calme la douleur.

Le clou de girofle, l'anti-douleur par excellence

Si son odeur vous rappelle votre dernier rendez-vous chez le dentiste, rien de plus normal. Il contient de l'eugénol, un composé aromatique utilisé dans les préparations médicales. « Le clou de girofle est analgésique, il calme la douleur. Il est antiseptique et soulage aussi les irritations. Pour apaiser des maux de dents, posez-le sur la zone douloureuse », précise Amandine Geers. On peut aussi le mâcher en cas de gingivite.

Comment le consommer ? « Piquez un clou de girofle dans un oignon pour parfumer les bouillons ou les marinades », conseille la diététicienne Paule Neyrat. Pour prévenir les maux d'estomac, optez pour une décoction. Placez trois clous de girofle dans une casserole d'eau portée à ébullition, puis laissez frémir cinq minutes. Attention à l'utiliser avec parcimonie. En grande quantité, il peut irriter la langue. De plus, certaines personnes sont allergiques à l'eugénol.

La noix de muscade, contre le mal des transports

Vous l'utilisez déjà dans vos gratins dauphinois ? Bien vu. Originaire des îles de Banda (province des Moluques, en Indonésie), la noix de muscade « est antispasmodique, elle calme les nausées et peut être utilisée contre le mal des transports », indique Sylvie Hampikian. Si le goût est trop prononcé, optez pour la version allégée, le macis : « C'est l'écorce qui recouvre la noix. Son goût est plus doux », précise Amandine Geers. Comment la consommer ? En petite quantité, dans des mélanges. En assaisonnement des sauces Béchamel, des poissons, dans les desserts à base de fruits cuits et de chocolat.

Attention à ne pas en abuser : la noix de muscade contient de la myristicine, « un psychotrope qui, en grande quantité, peut entraîner des endormissements. Évitez aussi d'en donner aux enfants », précise Sylvie Hampikian.

Le cumin, pour l'assimilation des graisses

Originaire d'Égypte, « l'huile essentielle qu'il contient favorise la digestion en activant les sécrétions du tube digestif et en améliorant l'assimilation des matières grasses. Le cumin est aussi riche en antioxydants et purifie le sang », indique Sylvie Hampikian. Comment le consommer ? Il parfume à merveille les ragoûts et les curry. N'hésitez pas à en mélanger aux choux ou aux légumes secs. Il améliorera leur digestion.

Riches en substances soufrées, les graines de moutarde sont assainissantes et antioxydantes.

Les graines de moutarde, contre le vieillissement

Les Égyptiens, les Grecs et les Romains utilisaient déjà la moutarde en broyant la graine pour rehausser le goût des viandes et des poissons. « Riches en substances soufrées, les graines de moutarde sont assainissantes et antioxydantes. On dit qu'elles sont des "pièges à radicaux libres", ces substances qui favorisent le vieillissement les cellules », indique Sylvie Hampikian. En stimulant la production de suc gastrique et de salive, elle facilite aussi la digestion. Comment les consommer ? On pile les graines de moutarde dans un mortier et on les ajoute dans des salades ou dans la cuisson du chou.

Le galanga, booster de défenses immunitaires

Au XIIe siècle, la religieuse bénédictine allemande Hildegarde de Bingen vantait déjà les mérites de cette épice venue tout droit d'Indonésie. Grâce à son action antioxydante, « le galanga agit sur la peau, sur l'organisme et aide à lutter contre le vieillissement » précise Amandine Geers. « Sa teneur en eucalyptol et en camphre stimule le système immunitaire et donne un coup de fouet à l'organisme », détaille Sylvie Hampikian. Son goût est assez similaire à celui du gingembre, en un peu plus citronné. Comment le consommer ? Frais, en rhizome (racine), on le râpe ou on l'émince pour l'ajouter aux légumes ou aux confitures.

(1) Coauteure de Le guide Terre vivante de la cuisine saine et gourmande. 1000 recettes pour tous les jours, Éd. Terre vivante, 480 p., 29,90 €.

(2) Coauteure, avec Olivier Degorce, de J'épice ma cuisine. Anis, curcuma, muscade, safran... 60 recettes salées et sucrées, Éd. Terre vivante, 118 p., 12 €.

(3) Idées recettes tirées de J'épice ma cuisine.

(4) Coauteure, avec Alain Ducasse, de Nature. Simple, sain et bon. 190 recettes réalisées par Christophe Saintagne, Éd. Alain Ducasse, 400 p., 24 €.

Pour en savoir plus sur les ateliers de cuisine d'Amandine Geers : www.what's-for-dinner.info

Par Ophélie Ostermann | Le 30 mars 2015 figaro