Nos édiles préfèrent tourner le dos à ce qui est supposé embellir l’espace urbain. Ils déclinent une pâle poésie dans la géographie qu’ils gèrent. Très rares sont les P/APC qui daignent organiser des floralies, histoire d’égayer la cité et développer l’écogeste chez l’administré, notamment la ménagère.
L’on se rappelle les premiers tumultes du printemps de notre enfance à Bouzaréah, de la bien nommée pâquerette qui ouvre ses collerettes dans les vallons de Douéra, de la jubilation des coquelicots qui, par vagues nonchalantes, se mêlent au défilé des narcisses parsemant le cordon du Sahel, de la convulsion joyeuse du chèvrefeuille et du fuchsia qui ornaient les demeures de Bologhine, de la fragrance qui s’échappe des sarments de jasmin et des églantines des villas d’El Biar, Kouba, Birkhadem et Zouaoua, du bourgeonnement du géranium et de la balsamine, qui enchantaient les maisons de Bir Mourad Raïs, de l’effloraison de la jacinthe, des jonquilles et de l’hortensia qui enjolivaient les cours et courettes du fahs comme un hymne à la vie…
En clair, une couverture végétale qui valse comme une poésie, voire un antidépresseur, qui participait à nous mettre le moral au beau fixe en cet envol de saison euphorique. Certains (re)convoquent les rues de Bab El Oued lorsque celles-ci étaient jalonnées de ficus. Mais cela fait partie d’une souvenance que les nostalgiques égrènent, non sans dépit. Une force douce et bigarrée qui, depuis, n’a plus ‘‘pignon sur cité’’ — dans et autour de nos chaumières souffreteuses.
Elle n’est plus complice de l’ingénue effervescence qu’offre Dame nature parée de ses plus beaux atours en cette éclosion printanière. Une dame d’un certain âge apostropha le quidam non sans un pincement au cœur : «Autrefois, je me souviens des balcons fleuris de plantes ornementales à St-Eugène et un peu partout dans le centre-ville d’Alger. A présent, on se sert des balcons comme un fourre-tout et pour balancer les ballots d’ordures par-dessus la balustrade.»
On «bouffe» les surfaces forestières
Dans la foulée, il n’est pas déplacé de constater que le faciès arboricole qui enjolivait nos espaces publics a déserté notre cadre bâti, bien qu’une procession de palmiers décore en overdose le long de l’axe autoroutier algérois, dont bon nombre d’individus ont les palmes jaunies, sinon en passe de rendre l’âme. Par ailleurs, la forêt de Baïnem, poumon de l’ouest algérois, est jonchée par endroits de détritus et des chenapans n’hésitent pas à décimer la végétation de la pinède pour en faire un usage personnel, à défaut de faire dans le geste antipopulaire... comme le parking érigé dans le site dit Bois des pins à Hydra et qui a soulevé la grogne des riverains. On rogne aussi une partie du bois qui longe la route du stade du 5 Juillet (Ben Aknoun) à des fins inavouées, ou encore la forêt de Canastel (Oran), que des barons du foncier ont rapetissée, au grand mépris des petites gens en quête de bol d’air.
Alors qu’à Pékin le taux de couverture végétale a été porté à 45% en 2010, rendant la métropole une cité verte, chez nous il oscille entre 1 et 3%. Faut-il souligner que «les végétaux en ville sont des alliés objectifs de la santé humaine et du bien-être des habitants. Ils représentent aujourd’hui un des éléments essentiels non seulement de la qualité du cadre de vie, mais aussi de l’attractivité des territoires», dira un écologiste de l’INRF, qui insiste sur «les bienfaits du végétal en ville sur le bien-être et la santé humaine».
Nos édiles préfèrent tourner le dos à ce qui est supposé embellir l’espace urbain, envahi, faut-il le souligner, par une concrétion urbanistique. Ils déclinent une pâle poésie dans la géographie qu’ils gèrent. Très rares sont les P/APC qui daignent organiser des floralies, histoire d’égayer la cité et développer l’écogeste chez l’administré, notamment la ménagère. Interrogé sur l’absence de manifestation florale dans des espaces aménagés de la commune de Bab El Oued, comme l’esplanade El Kettani, un élu se montre évasif, signifiant que l’opération qui consiste à «tenir des floralies est un casse-tête». Et pourtant, «ce ne sont pas les horticulteurs et les pépiniéristes qui manquent», renchérit un vieux à notre endroit. A peine quelques terrasses et vérandas d’appartement ou de villa sont enjolivées par des balconnières.
La grâce de la déesse Flore ne semble plus avoir droit au chapitre, sommes-nous tenus de dire. Elle est affectée par un cadre bâti dont le décor est on ne peut plus lugubre. «Si sous d’autres cieux les compositions florales sont synonymes de célébration du réveil de la saison des amours, de la joie, du charme et de l’éclat, notre espace urbain n’en a cure du renouveau printanier à même de mettre un tant soit peu du baume dans le cœur de nos cités flétries», souligne un fleuriste dont l’échoppe est achalandée de fleurs et de roses qu’on lui refile du Maroc.
Quant à la structure de wilaya chargée du développement et de l’embellissement des espaces publics, le choix est porté en priorité sur les axes parcourus par les officiels et autres hôtes de marque, le reste des interventions est opéré au gré de l’humeur, juste pour justifier quelque action qu’elle mène de manière expéditive. Elle met en terre des plants chétifs pour les abandonner aussitôt. Les exemples sont légion et l’association écologique Emeraude est toujours présente pour le rappeler à l’envi. Elle a beau livrer bataille en s’égosillant pour l’entretien des belles lignées de platanes qui, autrefois, ornaient le boulevard Omar Lounes (ex-Flandres). Mais on a décidé qu’elles soient abandonnées à leur triste sort au même titre que les surfaces reboisées qui, une fois l’entreprise achevée, se réduisent à néant par le laisser-aller du citoyen et le broutage du cheptel. Une manière de contribuer à la calvitie de nos cités.
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